Au cœur du Bocage Mayennais


par Maxime POIRIER

Ce terrain répertorié dans les archives américaines comme "terrain d'aviation de Gorron", se situait en fait sur le territoire de la commune de Brecé. Le texte de Maxime POIRIER est le témoignage d'un adolescent de 15 ans, âge qu'il avait au moment des faits. C'est ce qui en fait toute sa valeur et nous le remercions de nous avoir donné son accord pour le publier.

LE TERRAIN D’AVIATION AMÉRICAIN A GORRON
par Maxime POIRIER (1)


Les Américains étant arrivés depuis le 6 juin 1944, pour nous la guerre était finie ! Nous étions loin de nous douter de ce qui se passait près de nous. En effet, Mortain où la bataille faisait rage, fut pris et repris 7 fois, et cela se passait à moins de 30 Km de cheznous. D’autre part, les Allemands étaient toujours à 3 Km de Couesmes, de l’autre côté de la Varenne. Nous ignorions tout cela, car à l'époque, le téléphone n'existait pas dans notre région où nous n'avions même pas l'électricité ! Mais notre père, avec son poste à galène, pouvait suivre les grandes lignes de l'actualité sur radio Londres !
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Déjà, en signe précurseur, nous avions été bombardés, le mardi 8 Août dans la matinée, puis dans l’après midi, un groupe de 4 Lightnings P 38 passa au dessus de nous en émettant un bruit inhabituel. Ce même jour, un de ces appareils se détacha du groupe et amorça une chute vertigineuse, moteurs arrêtés, et tomba non loin de nous, vers Lesbois. Peu avant de toucher le sol, le pilote réussit à s’éjecter et son parachute ne s’ouvrit que juste à temps pour être sauvé. Il paraît que ses premières paroles furent: « Américan or German here ? » En effet, les lignes allemandes étaient encore si proches qu’il ne savait pas si il était tombé en territoire libéré ou non ! Il était tout simplement en panne de carburant !.

 

 

 

Il fallait revenir les pieds sur terre, la guerre n’était absolument pas terminée, les Allemands étaient tout proches, et personne ne savait pour combien de temps encore?
Le mercredi et le jeudi, rien de nouveau, les avions de toutes sortes continuaient leurs allers et retours. Mais le vendredi 11 Août, le « père Aulnay » un voisin fermier au Grand Rousseau qui avait des champs les plus proches de la route, arriva chez nous dans une jeep conduite par un officier Américain (il faut dire qu'il avait fière allure là-dedans) et dit à notre père : « toi qui t’y connaîs en terrain d’aviation puisque que tu en as fait pendant la guerre de 14 » ! (il avait vu en faire, seulement !), « si j'ai bien compris, cet officier américain dit qu’ils vont construire un terrain d’aviation ici, aussi, je préfère que ce soit toi qui discutes avec lui »!
En effet, l'officier avec une carte d’État Major à la main, montra à notre père le lieu où ils allaient construire ce terrain, c’était sur la commune de Brecé, de l’autre côté de la route de Couesmes (voir carte)



Notre père n’en revenait pas de leur inconscience. Ils avaient certes choisi une surface plane mais en plein bocage et surtout, très humide en son centre. C’était des prés
remplis de joncs qu’il fallait pratiquement faucher à la faux, tellement ils étaient humides. Naturellement, il en fit part à l’officier américain qui lui fit une réponse extraordinaire : « ne vous tracassez pas, nous en avons qui naviguent sur la mer, (les porte-avions) alors voyez ce n’est pas un bout de terrain humide qui peut nous arrêter » ! Une chose extraordinaire à mettre au crédit de l’armée américaine, c’était la première fois qu’on nous informait de ce qui allait être fait chez nous ! Notre père avait trouvé ce geste d’une extraordinaire courtoisie et cela confirmait ce qu’il pensait des Américains. Robert (un de mes frères) m’avait fait part de son souhait d’entendre enfin parler du « Terrain d’Aviation de Gorron » chose qui, à ma connaissance, n’a encore jamais été faite. Aussi je suis très honoré de le faire et ferai tout pour être le plus clair possible. C’est Jean-Marc (mon fils) qui m’a donné les premiers éléments. En compulsant les Archives disponibles, il m’a informé que c’est le IX ENGINEER COMMAND qui fut chargé de la remise en état des terrains d’aviation détruits par la guerre, mais surtout de la création de nouveaux terrains lorsque le besoin s’en faisait sentir.

Voici le blason du IX ENGINEER COMMAND, qui avait à sa disposition tous les Engineers Aviation Bataillons, je dirais les Bataillons du Génie chargés des terrains
d’aviation ! C'est le 846 Engineer Aviation Bataillon, qui fut chargé du terrain de Gorron.

Cette Unité de l’armée américaine aurait travaillé sur plus de 300 terrains en un an ! Mais pourquoi les Américains voulaient ils construire un terrain d’aviation si près des

Allemands ? Ils n'étaient encore qu'à une dizaine de Km comme je l’ai déjà dit. C’est parce qu’ils ignoraient complètement la réaction qu’allaient avoir les Allemands suite au débarquement et à l’avancée des alliés dans l’Ouest.
Hitler, (lire Hitler chef de guerre de Gert Buchheit) était persuadé que le débarquement en Normandie n’était qu’une diversion et qu'immanquablement, le véritable débarquement aurait lieu dans le Pas de Calais. Il conservait malgré la demande pressente de ses Généraux, des divisions blindées dans le Nord de la France. D’autre part, deux cent mille soldats allemands étaient retenus dans les ports de la Mer du Nord et de l’Atlantique. Il ignorait sans doute que les Américains avaient amené leurs ports artificiels avec eux. On en voit encore de nos jours des vestiges au large d’Arromanches. Les Américains étaient persuadés que les ennemis allaient réagir aux événements et que la grande bataille de chars aurait lieu en Beauce, terrain propice aux lourds blindés allemands, qui avaient déjà montré leur capacité dans la plaine de Caen ! Naturellement je passe très vite sur les motivations des Américains, mais tout cela semble logique, et il ne fallait pas perdre de temps. Toute cette histoire a déjà été écrite maintes fois.
Le 846 Engineer Aviation Bataillon, débarqué sur les côtes de Normandie depuis le 16 Juillet et arrivant de Tour en Bessin où il venait de terminer une piste semblable, fut
désigné pour construire celui de Gorron-Brecé. Le premier bulldozer blindé (et armé !) arriva le lendemain, samedi matin. Le soir, tout le pourtour de la future piste était déjà tracé. Nous n’avions jamais vu une chose pareille. Il lui suffisait d’avancer tout droit vers la haie pour qu’elle disparaisse immédiatement, en deux
secondes. Il faisait ce que deux personnes auraient fait en une journée. La même chose pour les arbres, il lui suffisait d’arriver et l’arbre était par terre ! Naturellement nous autres gamins, n'avions encore jamais vu de tracteur à chenilles, encore moins de bulldozer ! Voici le tracé définitif de la piste faite le samedi 12 Août. Elle faisait 3.600 pieds (1100 m) de long et 120 pieds (36 m) de large, sans compter les voies de dégagement qui seront faites plus tard.



Nom du
terrain
Lieu:
Département:
Début des
travaux:
Fin des
travaux:
Abandon:
- A. 34 -
- GORRON -
- Mayenne-
-14/08/44-
- 27/08/44-
- 04/11/44-

Ce qui est étonnant c’est que l’emplacement de ces terrains d’aviation avait été décidé d'après des études détaillées de photos aériennes et de cartes géographiques
commencées début 1943 ! Il est en effet curieux de constater que ce terrain en plein bocage vallonné, occupait le seul endroit ouest/est parfaitement horizontal sur plus de 1500 mètres .


Il était prévu 5 types de terrains :


1- Terrain de secours ayant une piste d’environ 600 mètres (1.800 pieds) pour atterrissages urgents.


2- Terrain de réapprovisionnement en cas de panne de carburant, permettant d’atterrir et de repartir, d'une longueur de 1.100 m. et même de 1.500 m. pour bombardiers.

3- Terrain près de zone de combat, les mêmes conditions de le N° 2, mais avec zone de garages pour les avions. (le A 34, celui de Gorron devait être un N° 3)

4- Terrain comme le N° 3 mais avec équipements plus complets.

5- Terrain tous temps, toujours avec les mêmes équipements, mais avec piste en dur.


Arrivée d’un bull et d’un scrapeur en remorque

 


Bulldozer Caterpillar avec au fond un

scrapeur Letourneau et sa plaque de poussée.
Cet équipement a été indispensable pour creuser à plus de 4 mètres de profondeur, le tunnel d’assèchement qui traverse la piste.


SCRAPER LETOURNEAU


Ces deux importants matériels avec les niveleuses et les rouleaux compresseurs « pieds de mouton » ont été les principaux outils de terrassement, pour faire le terrain
d’aviation de Gorron-Brecé. Après avoir abattu tous les arbres et les haies, nivelé le terrain, mais surtout creusé l’immense drain qui traversait le terrain à l’aide d’un scrapeur tiré et poussé par deux bulldozers, puis effectué le nivellement avec du sable et le tassement avec les rouleaux « pieds de mouton », il fallut aux Américains, déterminer les matériaux de recouvrement de la piste principale. La nature du sol étant assez résistante pour le type d'avions
(Figters/Bombers, chasseurs/bombardiers) que devait recevoir ce terrain, ils décidèrent de poser du grillage, genre grillage à béton, de le maintenir au sol avec des pieux en cornière d’environ 60 cm de long et de recouvrir l’ensemble d’une épaisse toile goudronnée.



Rouleau spécial pour durcir les sols meubles, avant la pose du grillage


Pose des rouleaux de grillage et des rouleaux de toiles goudronnées.


Il ne fallut que 13 jours pour rendre opérationnel ce terrain d’aviation (nos constructeurs d’autoroutes en France en feraient-ils autant ?)
Naturellement, les Américains disposaient d’un matériel de génie considérable et d’une organisation extraordinaire. Étaient déjà installés, tous les ateliers et le personnel
spécialisé, l'immense cuisine, le poste de secours et l'hôpital (même une prison !). Et naturellement, n'oubliant pas que les Allemands étaient à notre porte, l’entourage était garni d’automitrailleuses à chenilles. Malgré tout ce lourd travail, ils manifestèrent beaucoup de gentillesse et d’attention à
notre égard. Pour cela, je veux les remercier. Marie-Louise (une de mes soeurs) fut soignée pour un « bobo » à une jambe. Moi-même, ayant une importante écorchure à un pied, un Américain s'en apercevant m’emmena au poste de secours qui se trouvait dans le champ du père Aulnay, juste en face du Petit Rousseau, pour me soigner avec un produit d’une efficacité sans faille, (probablement la première pénicilline ?). Deux jours après, il n’y paraissait presque plus rien. Une petite anecdote sans importance : à cette occasion je subis naturellement une visite médicale en règle et, s’apercevant que j’avais une anomalie cardiaque, on me dit qu’ils viendraient me chercher le lendemain matin pour un examen complet dans un « grand » hôpital ! Donc le lendemain matin, un « command car » vint me prendre au Grand Rousseau. Voyez mon emballement, je me voyais partir pour au moins l’Angleterre, subir cette visite ! Quelle ne fut pas ma surprise, au bout de 1 Km à la Bertraie, la voiture vira à droite et là sous les pommiers, c'était le « grand hôpital » juste en face de chez Fouqué. Bien sûr, il était équipé de tout le matériel médical qu'on pouvait imaginer, avec salle d’opération, salle de radiographie, etc. Donc on me fit une radio pour m’entendre dire qu’il ne fallait pas que je me tracasse car tout allait bien ! Comme si je ne le savais pas ! On me ramena au Grand Rousseau et mon « grand voyage » se termina comme il avait commencé !
Pour nous rendre service, nous recevions pour les cochons tous les déchets de cuisine, et il y en avait vraiment une grande quantité. Mais ils ne savaient peut-être pas
quoi en faire ? J’ai vu également un G.M.C. entier, basculer tout son contenu de cigarettes devant leur centre de distribution ! Du jamais vu ! C’était une autre vie ! Et tout se passait sous des toiles de tente. D’un autre côté, j'ai le souvenir que nos parents faisaient tout ce qui leur était possible pour leur faire plaisir. Par exemple, notre mère préparait souvent pour quelques uns, un poulet rôti entouré de pommes de terre bien dorées, dans un plat en grès, le tout accompagné d’une ou deux bouteilles de cidre bouché. Le cidre fait par notre père avait la réputation d'une qualité exceptionnelle. Pour nous, il rivalisait largement avec du champagne ! C'était du moins dans notre imaginaire d'enfant puisqu'on n'en avait jamais bu ! Tout cela faisait le délice du Sergent-chef JOHNSON qui ne quittait pas des yeux la porte de la maison pour connaître le moment où le plat serait prêt à emporter, servi encore fumant et recouvert d’une serviette. Il y a bien sûr, beaucoup d’autres choses à dire, mais il faudrait un livre entier, aussi qu’on veuille bien m’excuser pour ne pas avoir raconté des tas d’anecdotes que chacun doit avoir en souvenir.

Pendant cette période, un Piper Cub L4, (baptisé Carole) atterrit chez nous avec ses 4 passagers, probablement des Officiers Supérieurs. Ils venaient se rendre compte de l'état d'avancement des travaux. Je crois qu’au tout début, ce terrain était destiné seulement aux avions de reconnaissance du type Piper. Mais c’est devant l’avancée rapide des troupes Alliées qu’il aurait été modifié en terrain pour Chasseurs/Bombardiers ?


Ci-dessus, la forme définitive que devait avoir ce terrain, après que tous les aménagements auraient été terminés. Mais seule, la piste centrale fut entièrement réalisée. Les travaux furent arrêtés le 27/08/1944 et le 846 Engineer Aviation Bataillon quitta la campagne de Gorron pour St Léonard des Bois, dans le nord de la Sarthe, pour ensuite continuer vers le nord de la France, la Belgique, la Hollande et finir la guerre en Allemagne Ce terrain de Catégorie 3 fut ramené en Catégorie 2 pour servir de terrain de secours, c’est-à-dire en Emergency Landing Strip et eut à servir une fois, pour recueillir un Mustang en panne d’essence, vers la fin du mois d'août. Il faisait partie d’un groupe de 4 avions, qui après s’être assuré que l’atterrissage s’était bien passé, repartirent vers leur Base. Ce fut naturellement tout un événement et une cinquantaine de personnes eurent vite fait de se rassembler pour accueillir le pilote qui, je crois, fut surpris par cette joyeuse réception.

Le pilote, par radio avait certainement prévenu les responsables de son aventure. Il ne fallut pas attendre longtemps pour qu’un camion citerne arrive et refasse le plein.

Après avoir repris son envol en flèche, le Mustang fit demi-tour et redescendit en rase motte et en battant des ailes, pour un au revoir à tous ces gens qui étaient venus

l’accueillir. Toutes les personnes présentes ne manquèrent sûrement pas de penser au Ligthning P 38 qui, après la même aventure s’était par contre, écrasé quelques jours
auparavant à Lesbois, distant seulement de quelques kilomètres. Le 4 Novembre 1944, le terrain A 34 de Gorron-Brecé fut définitivement désaffecté
et rendu aux anciens exploitants agriculteurs. J’ai une dernière anecdote à raconter, qui ne m’honore pas beaucoup, mais nous vivions une époque où nous ne nous rendions pas bien compte de tout ce qui se passait. Il restait quelques Américains sur le camp probablement pour en assurer une certaine surveillance ! Bref, près d’une toile de tente qui leur servait d’abri, voilà que j’aperçois une splendide paire de brodequins (rangers) posée sous la fermeture de la tente ! Impossible de résister, c’était trop beau ! Je m’approchais furtivement de la tente, et d’un seul coup je pris les deux brodequins pour les emporter, mais pas de chance ! Les chaussures ne prirent pas du tout le bon chemin ! Le propriétaire était encore dedans ! Et pas content du tout, on s’en doute, il ne mit pas beaucoup de temps pour sortir et pour me courir après. Mais je n’avais naturellement pas attendu sa réaction et étais reparti à une telle vitesse, qu’il lui fut impossible de me rattraper. Il paraît qu’il n’y a plus de jeunesse aujourd’hui ? Et autrefois ! J’ai parlé du terrain d’aviation de Gorron du mieux que j’ai pu, ce qui m’a demandé beaucoup de recherches. Pourtant ce n’est qu’un résumé, tous les témoins de cette époque là (il y en a heureusement encore quelques uns) auraient certainement beaucoup de choses à rajouter !

Je vais maintenant écrire quelques mots sur le Commando de prisonniers Allemands venus pour remettre en état tout ce terrain bouleversé. Déjà certaines personnes
n’avaient pas attendu pour se servir en grillage ! A part donc un peu de grillage et de toile goudronnée, il n’y avait rien d’autre à récupérer, les Américains avaient parfaitement nettoyé tout le territoire qu’ils avaient occupé, ne laissant absolument rien traîner, tout avait été emmené ou enterré, Ce Commando, logé à Charbonnière, composé de 18 hommes, était venu à pied du Camp de Prisonniers d’Évron. Ils étaient dans un état de maigreur lamentable ! Biens qu'ils soient allemands, ils faisaient vraiment pitié ! Nous étions début février 1945, il faisait très froid et leurs deux gardiens français, se disant anciens résistants (?) n’avaient rien ou presque à leur donner à manger, et disaient qu’ils n’avaient pas d’argent pour leur acheter de la nourriture ! Aussi, le premier soir, notre père leur porta un sac entier de blé moulu, pour leur permettre de faire de la bouillie, c’était toujours autant. Le travail de nivellement des tas de terre, faits à la suite de l’aménagement du terrain d’aviation n’allait pas très vite. Les gardiens avaient trouvé un bon moyen pour nourrir ces prisonniers, c’était d’en « prêter » à la journée chez les voisins qui le demandaient pour faire différents travaux chez eux. Notre père venant tragiquement de nous quitter (décès accidentel), c’est de bonne grâce que notre mère accepta que nous allions chercher, chaque fois que nous en avions besoin, un prisonnier du nom de Arnold Tafferner, qui semblait heureux de travailler avec nous. Tout d’abord, il y avait bien longtemps qu’il n’avait pas aussi bien mangé. Le travail avec Camille (un de mes frères) et moi-même ne devait pas lui être désagréable, et nous mêmes en étions parfaitement satisfaits. Comme salaire, il remportait différentes nourritures, pommes de terre, farine de blé, et souvent, un sac de feuilles de tabac (nous en cultivions quelques pieds). Il devint vite très « costaud ». Je me souviens particulièrement de son travail pendant les foins, mais surtout pour l’arrachage des peupliers (nous avions des pépinières).


Nous avions pourtant souvent l’occasion de nous dire des paroles pas toujours aimables. Une petite anecdote: me voyant toujours en sabots, il me demanda combien j’avais de paire de chaussures ? Fièrement je lui dis que j’en avais une, il me répondit que lui en avait six ! Je n’avais plus rien à dire ! Il ne cessait pas de comparer l’Allemagne à la France et nous prenait un peu pour un peuple de sous-développés. Inutile de dire que Camille et moi ne manquions pas de lui parler des camps de concentration. Mais en général, tout se passait bien, je dois aussi dire qu’il n’avait que 18 ans et déjà deux années de guerre ! Nous venions de recevoir le « Farmall » (un des premiers tracteurs importés des États-Unis dans le cadre du plan Marshall) et il était bien fier de venir avec nous. Un de ses collègues prisonniers nous bricola une cabine. Il fut démobilisé vers le mois de novembre suivant, et quelle ne fut pas notre surprise de recevoir de sa part, quelque temps après son départ, une lettre en allemand ! Heureusement, Monsieur le Curé Piard connaissait parfaitement l’allemand et voulut bien nous en faire la traduction. Le contenu de cette lettre ne tarissait pas de remerciements envers chacun d’entre nous, c’était la première personne depuis le début de la guerre qui avait la délicatesse de nous remercier pour les services que nous leur avions rendus. Nous fûmes tous vraiment touchés. Notre mère en était fière, mais elle nous dit: « c’est un Allemand, alors il est impossible de lui répondre ! On n'entretient pas de relations avec ces gens là ! ». Il faut dire que la guerre venait de se terminer. Il faudra encore quelques années pour que nos peuples se réconcilient. C’est bien dommage car plus tard après la guerre, étant resté près d’un an en Allemagne dans le cadre mes activités professionnelles et l’aversion envers les Allemands ayant presque disparu, j’aurais aimé savoir ce qu’il était devenu. Naturellement, je ne dois pas clore ce chapitre de notre vie au Grand Rousseau à cette époque, sans penser à la partie la plus douloureuse pour beaucoup de familles : les deux cimetières militaires de Gorron. Ces deux cimetières américain et allemand, étaient situés à quelques centaines de mètres au-delà de la Croix au Brun en direction de Couesmes. D’autre part, les Allemands avaient fait auparavant un cimetière renfermant une centaine de sépultures allemandes et un soldat américain, à Gorron même. Le cimetière Américain avait reçu 753 sépultures de soldats
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Il a été entièrement transféré au Cimetière de Saint James dans les années 50. Jusqu’à cette époque, il fut soigneusement entretenu par une équipe d’ouvriers venant de Gorron tous les jours, sous la responsabilité des Américains. J’ai le souvenir que tous les 4 Juillet, Fête Nationale Américaine, était célébrée une cérémonie commémorative. Lors du transfert des « cendres » à St James, une symbolique poignée de terre fut prélevée et renfermée dans une Borne de la Liberté située à l’entrée de la Chapelle des Invalides à Paris, pour rappeler à tous les Français le souvenir de ces cimetières américains en France.


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Le cimetière allemand était situé près de la ferme du Petit Domfront, dernière ferme de Gorron sur la route de Couesmes. Il contenait officiellement 1000 sépultures de soldats allemands, mais pour l’avoir vu nous mêmes, je suis certain qu’il en contenait beaucoup plus. Si les premières tombes furent creusées individuellement, très vite il fallut faire appel à des bulldozers qui creusèrent, je crois me souvenir, cinq tranchées côte à côte pour ensevelir les camions de cadavres qui étaient déjà dans un état de décomposition très avancé, ne permettant absolument pas de les identifier. Toutes ces pénibles tâches étaient faites par des prisonniers allemands. Les tombes marquées d’une croix (?) furent rassemblées au cimetière allemand de Mont d’Huisnes, il me semble, mais n’en suis absolument pas certain, il ne m’a pas été possible d’avoir plus de renseignements.

LE CIMETIÈRE ALLEMAND DE MONT D’HUISNES

Le mausolée du Mont d’Huisnes a été érigé sur une colline d’une trentaine de mètres de haut, située à proximité de la baie du Mont Saint Michel. Il a été conçu pour recevoir les dépouilles de 11950 soldats allemands, transportés ici après exhumation dans les années 60. L’ossuaire se présente sous la forme d’un bâtiment cylindrique à deux étages comportant 68 cryptes renfermant chacune 180 corps.

OBSERVATIONS :
Les passionnés d'histoire ne se contentent pas toujours des légendes, mais consultent aussi les archives, lorsqu'elles existent. C'est pourquoi, restant un des rares
témoins oculaires et avec l'encouragement de Robert (un de mes frères), j'ai écrit ce résumé d'un fait important qui s'est déroulé dans cette région éloignée de 4 ou 5 Km de Gorron et Brecé, et qui risquait de passer dans l'oubli.

le 7 Juin 2008 Maxime Poirier Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.


SOURCES:

Documents techniques provenant de l'Histoire du IX ENGINEER COMMAND.
Livre de Gert Buchhelt – HITLER chef de guerre; Éditions Artaud.
Mes souvenirs.


(1) SES DATES:

1929 naissance au Grand Rousseau à Gorron, 6 ème enfant d'une famille en comportant 11
1949 séjour en Hollande puis à la Maison Rurale (JAC)
1950 service militaire
1952 secrétaire du Syndicat d'Immigration dans l'Yonne
1955 commercial dans la machine agricole (Société Française Vierzon SFV)
- - - - inspecteur commercial chez John Deere
- - - - instructeur chez John Deere